Quest |
L'histoire de Quest n'est pas seulement celle d'un
petit personnage anthropomorphe qui cherche de l'eau (en en oubliant le
Graal, cette bouteille vide qui, dès l'abord, ne l'intéresse pas et qu'il
abandonne). Un enjeu plus impérieux se découvre très vite. Ce que
recherche le bonhomme de sable, c'est moins d'échapper à la sécheresse et
à la dessiccation, que de prendre langue avec un ailleurs, de se mesurer à
lui. Cette eau qui coule d'en haut est un trait d'union entre le ciel et
la terre. A travers cette quête, le personnage cherche à s'arracher à sa
condition - celle de masse informe et indistincte de la matière - pour
exister sur un axe vertical. Il essaie tout simplement de prendre forme,
d'échapper à la gravité. Il suffit de le voir dans le second univers,
tendant les bras en l'air, pour comprendre que son aventure est celle
d'une érection, à l'instar de cette autre, commencée à l'aube de
l'humanité dans les sables liminaires de 2001, l'Odyssée de l'espace.
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Ainsi, s'il est une tension dynamique qui structure le film
c'est bien celle entre l'horizontalité et la verticalité. Elle est
martelée partout : dans les mouvements de caméra par exemple (panoramiques
verticaux, travellings ou panoramiques horizontaux), jusqu'à devenir un
code graphique du film, jusqu'à s'inscrire sur le corps même du
protagoniste comme une meurtrissure ou des stigmates, lorsque, dans le
dernier univers, une grille tatoue les deux axes de force qui le
travaillent dans ses " chairs ". |
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Or, si l'on s'intéresse à lui, ce n'est pas seulement parce
qu'il est humanisé et que l'on est invité peu ou prou à s'identifier à lui
: essentiellement par les gros plans sur son " visage " et les vues
subjectives qui nous mettent - un instant - à sa place. C'est parce que
quelque chose dans son aventure nous fascine, quelque chose qui nous
touche en propre et dont, pour une fois, on peut être spectateur et non
acteur. Il s'agit du fait de l'ignorance de son destin, et de la manière
dont il se retourne contre soi. On reconnaît là une sorte d'ironie
tragique classique que Stellmach reprend en l'actualisant
cinématographiquement, et en en faisant l'une des structures du
film.
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Cette " ironie " dont est victime le personnage est d'abord sensible
dans le côté répétitif de son parcours. Le temps est ici moins linéaire
que bégayant. D'un monde à l'autre, tout se rejoue à l'identique : décors
mis à part, la scénographie et la mise en scène seraient presque
interchangeables. Ici, une feuille l'agresse ; là, une pierre ; et enfin,
une scie. Un point d'eau l'attire ; il prospecte, creuse ; tout s'effondre
et il plonge. La singularité de son entreprise est vite diluée. Les gestes
précis, méticuleux, qu'il accomplit et auxquels on est enclin à attacher
de l'importance, sont noyés dans une temporalité itérative qui leur
confère une dimension absurde et le consacre en nouveau Sisyphe.
L'ironie est visible encore à travers les différents décors des
univers que le personnage traverse : ils se complexifient de plus en plus
(passant de désert de sable à usine hautement mécanisée à ciel ouvert,
comme autant d'âges et de stades de l'humanité) à mesure que lui-même, se
réduit. Ainsi se déploie clairement et graphiquement le paradoxe du destin
du bonhomme de sable : alors qu'il cherche à s'étirer et à s'affirmer sur
l'axe vertical, il se tasse, de plus en plus dominé par son environnement
qui lance désormais ses flèches et installations vers le ciel, et de plus
en plus raboté de la tête (par sa chute) et des pieds (par la scie). Il
retourne au tas dont il est issu. Au lieu d'évoluer, il régresse, à
rebours du paysage. Et c'est finalement sous forme de poussière à laquelle
il essayait originellement de s'abstraire, qu'il atteindra l'eau. On a
alors un renversement de perspective qui en dit long sur le caractère
aliénant de sa quête : parti chercher l'eau pour échapper à la poussière,
c'est en cherchant l'eau qu'il redevient poussière.
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Les cadrages et les mouvements de caméra ne sont pas indifférents dans
cette mise en scène de l'ironie. Alternant entre des plans plus rapprochés
sur le personnage et des plans d'ensemble soulignés par des mouvements de
balayage, le cadrage joue comme une gravité universelle dans la mesure où
il réinscrit toujours le personnage sur la ligne d'horizon à laquelle il
aimerait échapper.De plus, lorsqu'un plan rapproché oublie l'horizon,
c'est souvent pour mieux se jouer du protagoniste. On en trouve un
excellent exemple au début de la séquence dans l'univers de papier : un
plan isole de profil le bonhomme de sable qui vient d'éviter de justesse
l'agression d'une feuille ; mais une autre qu'il n'avait pas vu - et nous
non plus - se jette sur lui et le fait chuter. L'utilisation d'un cadrage
serré et du hors champ est ici une cruauté supplémentaire qui permet de
faire revenir l'horizon (sous les espèces de cette feuille) comme un
retour du refoulé.Enfin, loin d'être un plan à la mesure de l'individu,
l'humanisant, le gros plan est infiniment pernicieux dans Quest. Certes,
dans la plupart des séquences du film, le gros plan permet logiquement
d'être au plus près de ses émotions. Mais, c'est dans l'épisode de
l'écrasement dans le broyeur à ordures (une référence à Star Wars ?) qu'il
trouve sa destination finale, lorsque, là encore, il se retourne contre le
personnage. Au fur et à mesure que la paroi se rapproche du héros, le
cadrage se resserre de plus en plus à la faveur d'un zoom qui finit par…
l'écraser. C'est le gros plan autant que le mur qui le réduit en
poussière. Ici se concentre toute l'ironie du film, dans le moment précis
où ce personnage noyé par l'horizon dans lequel il ne peut prendre place
et forme, finit écrasé dans les forges et les moules qui ne peuvent que
trop lui en donner une. On le voit : c'est un chemin bien étroit pour cet
être coincé entre plans d'ensemble et gros plans, entre dissolution et
écrasement. Et c'est la caméra, suprême vecteur de forme, qui dans ce
mouvement de zoom définitif, scelle son destin en permettant son
involution. |
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Les derniers plans du film reviennent, en effet, à ceux du
début. Quest se déploie en un cycle que l'on suppose sans fin. Or,
l'ironie a là encore son rôle à jouer. Mais il est fécond celui-là : c'est
parce qu'il en ignore toujours éternellement la fin que le personnage
rependra toute l'aventure depuis le début. Loin de se refermer sur lui
comme un piège, l'ironie est finalement l'un des moteurs qui le remet en
branle, inversant la fatalité et relançant le cycle. Ne souffle-t-elle pas
dans ce vent qui tour à tour décape ou anime, arrachant à la matière,
mettant à distance sa propre condition ? En définitive, Quest circonscrit
et consacre un espace étroit entre ignorance et réalité du destin : à
travers les déserts arides de la répétition qui progressivement deviennent
style, le seul terrain de jeu qui nous soit offert est celui même de la
représentation. |
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Le site officiel de Quest |
Derniére mise à jour le 26/09/06 © Tout droit réservé -
surfilm.free.fr - 2006
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