ça tourne

Quest

L'histoire de Quest n'est pas seulement celle d'un petit personnage anthropomorphe qui cherche de l'eau (en en oubliant le Graal, cette bouteille vide qui, dès l'abord, ne l'intéresse pas et qu'il abandonne). Un enjeu plus impérieux se découvre très vite. Ce que recherche le bonhomme de sable, c'est moins d'échapper à la sécheresse et à la dessiccation, que de prendre langue avec un ailleurs, de se mesurer à lui. Cette eau qui coule d'en haut est un trait d'union entre le ciel et la terre. A travers cette quête, le personnage cherche à s'arracher à sa condition - celle de masse informe et indistincte de la matière - pour exister sur un axe vertical. Il essaie tout simplement de prendre forme, d'échapper à la gravité. Il suffit de le voir dans le second univers, tendant les bras en l'air, pour comprendre que son aventure est celle d'une érection, à l'instar de cette autre, commencée à l'aube de l'humanité dans les sables liminaires de 2001, l'Odyssée de l'espace.

photogramme à 2'35""


 
Ainsi, s'il est une tension dynamique qui structure le film c'est bien celle entre l'horizontalité et la verticalité. Elle est martelée partout : dans les mouvements de caméra par exemple (panoramiques verticaux, travellings ou panoramiques horizontaux), jusqu'à devenir un code graphique du film, jusqu'à s'inscrire sur le corps même du protagoniste comme une meurtrissure ou des stigmates, lorsque, dans le dernier univers, une grille tatoue les deux axes de force qui le travaillent dans ses " chairs ".

 

6'33"

 
Or, si l'on s'intéresse à lui, ce n'est pas seulement parce qu'il est humanisé et que l'on est invité peu ou prou à s'identifier à lui : essentiellement par les gros plans sur son " visage " et les vues subjectives qui nous mettent - un instant - à sa place. C'est parce que quelque chose dans son aventure nous fascine, quelque chose qui nous touche en propre et dont, pour une fois, on peut être spectateur et non acteur. Il s'agit du fait de l'ignorance de son destin, et de la manière dont il se retourne contre soi. On reconnaît là une sorte d'ironie tragique classique que Stellmach reprend en l'actualisant cinématographiquement, et en en faisant l'une des structures du film.


 
Cette " ironie " dont est victime le personnage est d'abord sensible dans le côté répétitif de son parcours. Le temps est ici moins linéaire que bégayant. D'un monde à l'autre, tout se rejoue à l'identique : décors mis à part, la scénographie et la mise en scène seraient presque interchangeables. Ici, une feuille l'agresse ; là, une pierre ; et enfin, une scie. Un point d'eau l'attire ; il prospecte, creuse ; tout s'effondre et il plonge. La singularité de son entreprise est vite diluée. Les gestes précis, méticuleux, qu'il accomplit et auxquels on est enclin à attacher de l'importance, sont noyés dans une temporalité itérative qui leur confère une dimension absurde et le consacre en nouveau Sisyphe.
L'ironie est visible encore à travers les différents décors des univers que le personnage traverse : ils se complexifient de plus en plus (passant de désert de sable à usine hautement mécanisée à ciel ouvert, comme autant d'âges et de stades de l'humanité) à mesure que lui-même, se réduit. Ainsi se déploie clairement et graphiquement le paradoxe du destin du bonhomme de sable : alors qu'il cherche à s'étirer et à s'affirmer sur l'axe vertical, il se tasse, de plus en plus dominé par son environnement qui lance désormais ses flèches et installations vers le ciel, et de plus en plus raboté de la tête (par sa chute) et des pieds (par la scie). Il retourne au tas dont il est issu. Au lieu d'évoluer, il régresse, à rebours du paysage. Et c'est finalement sous forme de poussière à laquelle il essayait originellement de s'abstraire, qu'il atteindra l'eau. On a alors un renversement de perspective qui en dit long sur le caractère aliénant de sa quête : parti chercher l'eau pour échapper à la poussière, c'est en cherchant l'eau qu'il redevient poussière.

0'25''

 

5'01"

 

9'34"

 

Les cadrages et les mouvements de caméra ne sont pas indifférents dans cette mise en scène de l'ironie. Alternant entre des plans plus rapprochés sur le personnage et des plans d'ensemble soulignés par des mouvements de balayage, le cadrage joue comme une gravité universelle dans la mesure où il réinscrit toujours le personnage sur la ligne d'horizon à laquelle il aimerait échapper.De plus, lorsqu'un plan rapproché oublie l'horizon, c'est souvent pour mieux se jouer du protagoniste. On en trouve un excellent exemple au début de la séquence dans l'univers de papier : un plan isole de profil le bonhomme de sable qui vient d'éviter de justesse l'agression d'une feuille ; mais une autre qu'il n'avait pas vu - et nous non plus - se jette sur lui et le fait chuter. L'utilisation d'un cadrage serré et du hors champ est ici une cruauté supplémentaire qui permet de faire revenir l'horizon (sous les espèces de cette feuille) comme un retour du refoulé.Enfin, loin d'être un plan à la mesure de l'individu, l'humanisant, le gros plan est infiniment pernicieux dans Quest. Certes, dans la plupart des séquences du film, le gros plan permet logiquement d'être au plus près de ses émotions. Mais, c'est dans l'épisode de l'écrasement dans le broyeur à ordures (une référence à Star Wars ?) qu'il trouve sa destination finale, lorsque, là encore, il se retourne contre le personnage. Au fur et à mesure que la paroi se rapproche du héros, le cadrage se resserre de plus en plus à la faveur d'un zoom qui finit par… l'écraser. C'est le gros plan autant que le mur qui le réduit en poussière. Ici se concentre toute l'ironie du film, dans le moment précis où ce personnage noyé par l'horizon dans lequel il ne peut prendre place et forme, finit écrasé dans les forges et les moules qui ne peuvent que trop lui en donner une. On le voit : c'est un chemin bien étroit pour cet être coincé entre plans d'ensemble et gros plans, entre dissolution et écrasement. Et c'est la caméra, suprême vecteur de forme, qui dans ce mouvement de zoom définitif, scelle son destin en permettant son involution.

5'47"

 

2'15"

 

9'24"

Les derniers plans du film reviennent, en effet, à ceux du début. Quest se déploie en un cycle que l'on suppose sans fin. Or, l'ironie a là encore son rôle à jouer. Mais il est fécond celui-là : c'est parce qu'il en ignore toujours éternellement la fin que le personnage rependra toute l'aventure depuis le début. Loin de se refermer sur lui comme un piège, l'ironie est finalement l'un des moteurs qui le remet en branle, inversant la fatalité et relançant le cycle. Ne souffle-t-elle pas dans ce vent qui tour à tour décape ou anime, arrachant à la matière, mettant à distance sa propre condition ? En définitive, Quest circonscrit et consacre un espace étroit entre ignorance et réalité du destin : à travers les déserts arides de la répétition qui progressivement deviennent style, le seul terrain de jeu qui nous soit offert est celui même de la représentation.  

Le site officiel de Quest

 



Derniére mise à jour le 26/09/06
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